85.
Dès qu’il fut informé que les hommes de Green Band avaient été localisés, Carroll dévala les escaliers du 13.
Il se rua dehors, espérant trouver un hélicoptère de la police.
C’était le branle-bas de combat, dans la rue.
Le martèlement des pas sur le bitume. Des moteurs de voitures de patrouille qui démarraient. Des pneus qui crissaient sur Wall Street, dans les deux sens, ainsi que sur Broad Street et Water Street.
Carroll emportait un fusil M 16, qui, battant contre son corps, ranimait en lui une sensation familière. Flash-back : il était redevenu un soldat de l’infanterie…
À un détail près : il se trouvait au cœur de Manhattan et non pas dans la jungle du Vietnam.
Sa veste sport s’ouvrit pendant sa course, révélant le holster de son Browning ainsi qu’un gilet pare-balles.
Il dépassa une voiture de police, qui lui communiqua les dernières informations :
— Ils se déplacent à une vitesse moyenne de cinquante-cinq kilomètres/heure. Six véhicules. Des taxis ordinaires. Tous avec de l’artillerie lourde à bord. Ils se dirigent vers l’est.
C’est une ruse, se dit Carroll. Ils ont prévu autre chose.
Mais quoi ? Qu’est-ce que les vétérans s’apprêtaient à faire, maintenant ? Quel était le plan de Hudson ?
Un hélicoptère Bell noir et argent attendait sur un parking tout proche. Vrombissant comme un papillon de nuit géant. Prêt à décoller.
— Un M 16 et un hélico Bell… (Carroll grimaça en se faufilant dans le cockpit exigu et étouffant.) Bon sang, ça en fait remonter, des souvenirs. Bonjour, je m’appelle Carroll ! lança-t-il au pilote de la police new-yorkaise assis aux commandes.
— Luther Parrish, grommela celui-ci, un robuste homme noir portant un gilet pare-balles en cuir et des lunettes de protection jaune clair. Vous avez fait le Vietnam ? Ça se voit. Ça se sent, même.
Tout en parlant, Parrish faisait claquer un gros chewing-gum.
— Classe 70, répondit Carroll en souriant.
Il feignait la décontraction avant la bataille, comme quand il embarquait dans un hélico au Vietnam. En réalité, il détestait les hélicoptères. Il détestait même la simple mention de ces foutus engins. L’idée d’être suspendu en altitude, sans pouvoir compter sur autre chose que sur de fines pales fendant frénétiquement l’air.
— Ça alors ! Moi aussi, classe 70. Bon, les fous de sport, c’est reparti ! Je suppose que t’aimes pas trop les excursions aériennes ?
Ôtant à Carroll toute possibilité d’acquiescer, l’hélicoptère décolla brusquement du parking. Il en eut les boyaux retournés. L’appareil s’élança dans le ciel brumeux du matin, serrant de près les murs sombres des immeubles avoisinants. Le pilote évita savamment les vents forts qui soufflaient du fleuve.
Puis l’hélicoptère fit un grand virage en direction de l’East River. Un deuxième engin, Bell également, se joignit à lui en provenance du sud.
— En effet, je ne suis pas fana des hélicos. Sans vouloir t’offenser, Luther.
Carroll sentait l’adrénaline monter furieusement en lui, démontée comme une rivière en crue et se propageant dans tout son corps. Sous ses pieds, il distinguait la circulation sur le FDR Drive.
Le pilote finit par reprendre la parole, forçant sa voix pour se faire entendre par-dessus le bruit des rotors :
— Belle matinée, mec. On voit Long Island, le Connecticut, et presque Paris en France.
— Belle matinée pour se faire descendre d’une putain de balle en plein cœur, oui.
— Toi, t’as fait le Vietnam, c’est sûr, répondit Luther Parrish en s’étranglant de rire. Voyons voir… Là, on a deux, trois hélicoptères. Je patrouille armés sur eux. On demandera des renforts quand on saura dans quel coin ils vont exactement. Je crois que ça va bien se casser.
— J’espère que t’as raison, Luther.
— Tu les vois, en bas ? Les petits taxis, là ; on dirait des jouets, tu les vois ? Là-bas ?
— Ouais ! Avec leurs petits fusils M 16 en plastique et leurs lance-roquettes miniatures, répliqua Carroll.